Les histoires, qu'elles finissent bien ou mal, ont toujours une réminiscence au bout d'un certain temps. Comme un écho venu du passé qui résonne furtivement dans l'esprit puis disparaît.
Cet épilogue est celui de mon histoire, ou plutôt d'une partie de celle-ci. C'est l'histoire de cette rencontre entre un jeune homme qui peine à grandir et une machine dotée d'une âme. Il y a des mois déjà, la machine est partie et seul est resté le jeune homme, mais leur histoire ne s'est pas achevée ce jour là...
Nous sommes le 10 avril 2009, il est environ 19 heures. Je passe enfin à l'endroit où Louve et moi sommes tombés. Je m'attends à un frisson, de la peur, des souvenirs désagréables revenant à la surface. Rien. L'intersection est déjà loin derrière et on continue la route.
Aujourd'hui, je ne suis pas tout seul. On est 6 à rouler vers l'hôpital. Mais pourquoi l'hôpital? ...
Nous sommes le 10 avril 2009, il est environ 15 heures. Mickaël me colle aux basques sur sa sept et demi depuis le début de la montée de Saint-Cergue! Elle a toujours été aussi étroite, cette route?! Je tourne à peine la poignée que le virage suivant me saute à la gorge, prêt à m'envoyer dans le fossé.
Vite. Planter les freins. Tout balancer à gauche. Accélérer. Bien bouger sur la moto. Tenir l'avant. Laisser faire l'arrière. Encore un virage. Garder de la vitesse. A droite. Accélérer. Freiner encore...
Le miaulement de la 750 se fait omniprésent. Deux semaines qu'il l'a, l'animal, et il emmanche déjà bien! Mais il ne passera pas dans le bout droit. J'ouvre.
Un grondement rauque se mue en rugissement titanesque. Je me planque derrière la bulle. L'air siffle sur le sommet de mon casque. La roue avant peine à rester au sol. Je n'entends plus Mickaël et sa monture. Je n'entends plus que la mienne. Et mon coeur qui bat, aussi. Je l'aime, cette bécane! Une dernière enfilade et on s'arrête à côté des autres.
Je laisse la moto grogner encore un peu, puis coupe le contact. La bête se tait enfin et je savoure l'instant.
Elle me parle. On se retrouve enfin. En fait, on ne s'est jamais quittés. La Louve est là, tant entre mes cuisses qu'au bout de mes doigts. Elle est cette sensation de bien-être que j'ai en roulant. Elle est ce petit rien qui rend cette moto vivante. La Louve, c'est la vision qu'a mon esprit de cette moto.
Louve est une métaphore, une créature onirique. Elle n'en existe pas moins à mes yeux.
Avant de tomber sur ma nouvelle moto, j'ai beaucoup remis en question le fait d'avoir considéré ma 750 comme une sorte d'animal mécanique. Il y avait ce manque matériel, et cette sensation de vide, comme quand on perd son animal de compagnie, que j'occultais inlassablement.
J'ai passé un cap après mon accident. J'ai grandi bien malgré moi et me suis détaché de cette part enfantine de moi-même. Finalement, comme Robin Williams dans Hook, j'ai retrouvé mon âme d'enfant en même temps que Louve. C'est une façon très fantaisiste de voir sa moto. Je suis un grand rêveur, il est normal que mes rêves se mêlent à ma réalité.
Me voilà donc à nouveau aux côtés de ma Louve.
Nous sommes le 10 avril 2009, il est environ 15 heures 30. Cédric passe devant nous, puis s'en va embrasser les rochers au bord de la route 50 mètres plus tard. Oui, à ce moment là je me suis un peu réveillé!
Panique. On bondit tous en direction du copain, sa Speed est dans un piteux état et se vide de tous les fluides qu'elle peut. Killian, grand ami et ambulancier, est déjà à pied d'oeuvre et j'opte alors pour la régulation du trafic. Moi devant la moto, deux amis 50 mètres en amont et en aval, on gère.
Deux heures passent, avec les commentaires déplacés de certains automobilistes et les offres d'aides de certains autres. Les cyclistes tête dans le guidon passent sans attendre leur tour en raillant copieusement. L'ambulance arrive enfin. Cédric part à l'hôpital et Killian me passe devant. Il n'a rien de trop grave, peut-être une fracture à la jambe et à l'épaule.
On attendra encore deux heures, en régulant le trafic, la police (qui ne viendra qu'à l'hôpital) et la dépanneuse. La tension monte à nouveau lorsqu'un agent de sécurité en civil complètement ivre s'arrête et sème la zizanie en cherchant à tout prendre en main alors que tout était fait. Il a failli se faire tabasser mais a finalement pris la fuite.
La dépanneuse arrive et feue la Speed de Cédric effectue sa dernière descente sanglée sur la remorque.
Je la suis de près en liant inévitablement l'histoire de Louve 750 à celle de cette Speed, bercé par le râle de Louve 1000.
Nous sommes le 10 avril 2009, il est environ 20 heures.
La boucle est bouclée. J'ai passé ce fichu croisement comme j'enjambe ma baignoire. Je suis entré dans l'hôpital comme dans ma cuisine.
On apprend que Cédric a une entorse à la cheville et quelques légères contusions. "Tout ça pour ça!" nous indignons-nous, soulagés. Sa famillle est là, sa copine aussi, impatiente de le gronder. J'ai appelé la maison pour annoncer mon retard. Maman s'inquiétait et s'inquiétera toujours, mais elle est soulagée.
Louve m'attend sur le parking avec les autres motos. Je me sens bien, après cette folle journée, quoique fourbu. On quitte finalement les lieux en même temps que Cédric, direction l'autoroute et la maison. L'enthousiasme un peu douché par la mésaventure de mon camarade, je m'émerveille de sentir ma Louve vivre sous moi. Elle me rassure en vibrant doucement, en grondant lors des dépassements et en pivotant avec agilité dans les quelques virages qui me séparent du garage.
On arrive finalement à destination, avec presque huit mois de retard. Durant tout ce temps, j'ai grandi, trouvé ma voie et vécu ma vie. J'ai appris de bonnes et de mauvaises nouvelles. J'ai vu ma famille, mes amis. J'ai passé un temps fou avec Emilie. J'ai rit, j'ai versé quelques larmes. J'ai repris la moto.
Il m'aura fallu huit mois pour retrouver Louve et me retrouver moi. Je suis sorti de cette histoire plus fort qu'avant. Louve aussi, puisqu'elle est dorénavant Louve 1000!
Nous sommes le 14 avril 2009, il est environ 20 heures 30 et la vie continue.
Mon histoire aussi.
Merci à vous, de m'avoir lu (ou pas) et de supporter mes longs écrits. Il me semblait important d'écrire ce texte ici sur le forum. J'en suis content.